UNE SEMAINE DE DEBATS MOUVEMENTEE SUR LE PROJET DE LOI DADVSI

Après plus de deux mois passés à retravailler son projet et à faire acte de communication politique (voir article « Recours à la co-régulation pour le projet de loi DADVSI », par Philippe Mouron, 25 février 2006), le Ministre de la Culture a enfin relancé les débats, le mardi 07 mars, relativement au projet de loi sur les Droits d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information (DADVSI).

Cinq points principaux sont à retenir de cette première semaine houleuse : les tergiversations du Ministre relativement à la licence globale (1), l’enlisement dans la procédure de l’Assemblée Nationale (2), la première contre attaque du Gouvernement avec le rejet de la licence globale (3), la première discussion de certains éléments (4) et, enfin, le coup porté au monopôle des sociétés de gestion collective en faveur de Creative Commons France (5).
1) retrait puis réintroduction de la licence globale

La tension latente a de nouveau explosé dès le début ; le principal point débattu restait, encore et toujours, l’amendement voté le 21 décembre 2005, introduisant un article 1er légalisant le téléchargement, et préparant le terrain à la licence globale.

Débattu car, dès la reprise des débats, mardi 07 mars, ledit article est retiré du texte par le Gouvernement ! Scandale pour l’opposition, qui juge attentatoire ce retrait inopiné (mais pourtant attendu) et le qualifie d’anticonstitutionnel. Ainsi notamment, le député UDF François Morin a attiré l’attention sur l’article 84 du règlement de l’Assemblée Nationale, selon lequel seul un projet de loi « entier » peut être retiré et non un seul article. Le président de l’Assemblée, Jean Louis Debré, a au contraire soutenu que rien n’interdisait un tel acte ni dans la Constitution ni dans la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Le débat en serait peut être resté là si ce n’est que ledit Conseil semble avoir confirmé (officieusement) l’inconstitutionnalité de la procédure ; les sages auraient ajouté de plus vouloir censurer le texte si l’amendement n’était pas voté.

Tout l’enjeu du débat démocratique s’est dès lors cristallisé sur l’article 1er du projet de loi. Une fois encore, la majorité comme l’opposition dépassaient les clivages classiques de l’Assemblée Nationale ; ainsi, l’UMP et l’UDF comptaient dans leurs rangs autant des partisans que des opposants à la licence globale ; le front semblait plus uni à gauche en faveur de cette dernière. Face aux critiques, le Ministre a décidé de réintroduire l’article 1er afin que le débat puisse avoir lieu, tout en étant certain de son issue. Cette réintroduction soudaine a également été critiquée et qualifiée d’attentatoire au droit des députés de proposer et voter des amendements.
2) une séance consacrée à des questions de procédure

La réaction à gauche ne s’est pas faite attendre : le PS a affirmé qu’il userait de tous les moyens possibles et imaginables pour retarder l’issue du vote de ce projet de loi. La principale revendication des socialistes s’en tient toujours à la levée de l’urgence déclarée pour ce texte. Beaucoup, rejoints d’ailleurs par des députés de droite, réclament la réunion d’une commission parlementaire censée permettre de faire le point sur le texte et ses implications. Mais cette demande, qui est renouvelée depuis décembre, ne trouve toujours pas de réponse et le Gouvernement entend bien soutenir son Ministre de la Culture.

Dès le jeudi matin, face à cette obstination, les députés PS multiplient les demandes de suspension de séances pour diverses questions de procédure. Le débat est totalement inexistant ; aucun amendement ou article n’est voté pendant une bonne partie de la séance. Seules les revendications des camps opposés se font jour, entre les ténors du Gouvernement, de la majorité et de l’opposition. Les propos sont parfois d’une extrême banalité et témoignent surtout d’une vive tension entre les deux camps. Malgré tout, les arguments du PS ne rencontrent que peu d’écho pour les partisans de la licence globale ; l’attitude générale à droite, chez ses partisans, tend plutôt à la poursuite du débat dans de saines conditions, les députés se satisfaisant de la réintroduction de l’article 1er, qui pourra dès lors être voté. François Bayrou juge ainsi nécessaire de poursuivre les discussions, quelle qu’en sera l’issue, les implications du projet étant trop importantes.
3) Retour à la normale du débat et du texte : disparition de la licence globale

Sans surprise, l’article 1er, introduit le 21 décembre 2005, supprimé le 07 mars 2006, réintroduit le 09 mars 2006, est définitivement rejeté lors de la reprise normale des débats, dans l’après midi. Le vote a d’ailleurs été fort aisé pour la majorité ! En effet, les députés de l’opposition PS, PC et les Verts avaient quitté les bancs de l’Assemblée, épuisés face à l’inutilité de leurs actions procédurales (lesquelles devaient pourtant épuiser le Gouvernement). Le président de séance, Yves Bur, a notamment refusé plusieurs suspensions de séances demandées par l’opposition, dont il soupçonnait qu’elles permettraient de préparer de nouveaux amendements.

Cette première victoire du Ministre marque de plus le retour à la normale des débats sur les autres points du projet de loi. L’examen de ce dernier a néanmoins pris un retard considérable et l’échéance du 14 mars ne sera certainement pas respectée. Des séances supplémentaires ont été prévues afin de mener à bien l’examen du texte ; le Ministre avait d’ailleurs affirmé à l’opposition qu’elle disposerait du temps nécessaire pour en débattre.

Quoi qu’il en soit, l’enterrement de la licence globale reste en travers de la gorge pour beaucoup de ses partisans. Au-delà de leur échec, c’est surtout le sentiment d’avoir été laissés pour compte qui avive leur colère. Ainsi notamment, la Spedidam et l’Alliance Public Artistes regrettent de n’avoir pas été consultés lors des différentes réunions organisées par le Ministre au nom de la « concertation ». Ils dénoncent également la soi disant emprise de puissantes industries (celle du disque et du cinéma) sur le Ministre de la Culture, du fait notamment que la parole leur ait été donnée principalement. La Spedidam est même allée jusqu’à publier une liste des faux pas effectués par le Ministre dans ce débat !

L’argument du lobby industriel est bien sûr classique. Quoi qu’il en soit, il semble que le fameux amendement « Vivendi Universal » (voir article du 14 novembre 2005, par Philippe Mouron) soit remis au goût du jour dans les autres articles du texte. Le Ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, y a de plus apporté son soutien.
4) Poursuite (presque) normale du débat

L’alternative d’origine à la licence globale redevient de principe. C’est donc tout le dispositif anti peer to peer qui réapparaît, avec son lot de craintes pour les internautes. Le recours aux Digital Rights Management (DRM) devrait donc être légalisé dans le texte définitif, permettant ainsi de contrôler les usages d’une œuvre et de réprimer leur contrefaçon ou tentative de contrefaçon. L’exception de copie privée ne subsistera qu’une fois que l’œuvre aura été légalement téléchargée, ce qui reste fortement contesté par les opposants au texte. A cette fin, beaucoup, dont Christine Boutin, pro licence globale, ont persisté à proposer des amendements tendant à assimiler le téléchargement à de la copie privée, sans aucun succès. Ces questions reviendront néanmoins en discussion la semaine du 13 au 19 mars.

Une fois la licence rejetée, le vote a pu se faire sur les articles 1er et 2ème du projet d’origine, portant sur les exceptions aux droits d’auteur et aux droits voisins, et n’incluant plus du tout le téléchargement. Les deux articles ont été adoptés sans difficultés, malgré les nombreuses critiques dont ils font l’objet.

Le débat s’est ensuite principalement porté sur la rémunération pour copie privée. Différents amendements ont été adoptés, incluant dans son régime l’impact des DRM. Les plateformes commerciales de téléchargement vont en effet être de principe et ladite taxe sera donc supportée par l’internaute lui-même. L’opposition a encore présenté des amendements prévoyant de faire peser ce prix sur les FAI, ce qui s’apparente à une licence globale déguisée pour le Gouvernement ; ils seront votés lors de la reprise du débat. Les arguments développés par les députés PS ont très largement porté sur le financement de la culture, qui semble mis de côté, et le déséquilibre constaté dans la répartition du prix d’un morceau téléchargé ; les producteurs sont en effet largement bénéficiaires au détriment des artistes, qu’ils soient auteurs ou interprètes.

Néanmoins, un sous-amendement présenté par le député communiste Frédéric Dutoit a été voté en faveur des jeunes créateurs en mal de financement. Le nouvel article ainsi inséré prévoit la création d’une plateforme publique de téléchargement de musique pour les jeunes créateurs dont les oeuvres ne sont pas représentés sur les plateformes de téléchargement commerciales. Ce nouvel élément est à relier à un second sous-amendement, fondant un principe de liberté de choix de l’auteur.
5) Une victoire pour Creative Commons France

Avant d’en venir aux faits, rappelons que l’organisation Creative Commons a fait de l’indépendance de l’auteur l’un de ses principes fondateurs. A ce titre, elle s’oppose depuis l’origine à la gestion collective des droits telle qu’elle se pratique en France, notamment par le monopôle des sociétés de gestion. En effet, les auteurs adhérant, par exemple, à la Sacem sont obligés de lui céder la totalité de leurs droits pour la totalité de leurs œuvres, ce qui s’accord mal avec les principes défendus par l’organisation. Afin de mettre un terme à cette situation, cette dernière a demandé précisément « l’ouverture des sociétés de perception et de répartition des droits à tous les auteurs et artistes, et la liberté de ne pas apporter tout ou partie de leurs œuvres et tout ou partie de leurs droits portant sur ces œuvres ».

Cette demande a été entendue par la députée UMP Murielle Marland-Militello, et le sous amendement qu’elle a présenté. Adopté à l’unanimité, le texte en question établit que « l’auteur est libre de choisir le mode de rémunération et de diffusion de ses œuvres » et donc de « les mettre gratuitement à la disposition du public s’il le souhaite ». Cette nouvelle disposition constitue une importante avancée pour Creative Commons, dont l’origine anglo-saxonne rendait encore l’adaptation au Droit français incomplète, notamment sur ce point précis. Elle porte également un sérieux coup dans les habitudes des sociétés de gestion collective.

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La poursuite de la discussion parlementaire va sûrement susciter de nouvelles polémiques. Les articles relatifs aux DRM, aux logiciels libres, à l’interopérabilité,… en fait, tout le cœur du projet reste à être débattu à l’Assemblée ! La « guerre » engagée en décembre ne portait que sur la base du système. Il est à craindre qu’une crise ne se développe quant à ce fameux projet de loi, ne serait-ce que pour l’image du Gouvernement, déjà fortement affaibli malgré les quelques coups marqués.

La polémique du Contrat Première Embauche plane en effet sur le projet de loi DADVSI et il ne semble pas que le Premier Ministre souhaite céder sur un quelconque plan face à l’opposition.

Sources :
http://www.ratiatum.com ;
– site web de Libération .

Philippe MOURON