La Cour de Justice de L’Union européenne (CJUE), dans sa décision du 4/10/2011 « Karen MURPHY », vient de mettre fin au principe d’exclusivité territoriale des retransmissions de manifestations sportives, en donnant raison à une gérante d’un Pub à Portsmouth, qui diffusait dans celui-ci les matchs de Premier League au moyen d’un abonnement auprès d’une chaine satellitaire grecque.
Cet arrêt est un véritable coup de tonnerre et provoque une vraie révolution médiatique dans l’économie européenne des sports et du sport à la télévision ou par Internet. Il vient aussi préciser notamment la qualité des rencontres sportives vis à vis du droit d’auteur.
L’affaire soumise à la Cour était relative au fait que la gérante utilisait des cartes de décodeurs étrangers et un boitier auprès d’un distributeur grec, en l’occurrence « Nova », à des prix plus avantageux, dans la mesure où elle payait son abonnement 135€, contre 552€ pour l’abonnement à la chaine « SETENTA » du Groupe SKY MURDOCH (ou BSKYB ldt), qui détient les droits d’exclusivité de diffusion sur le territoire anglais.
Suite à un appel après condamnation de Mme MURPHY, auprès de la High Court Of Justice du Royaume Uni, l’affaire s’est retrouvée face à la CJUE par le biais d’une question préjudicielle, afin de déterminer si une restriction à la libre prestation de services avait lieu.
La fin du modèle anglais en matière d’acquisition des droits télévisuels :
Il est nécessaire de rappeler la spécificité de l’acquisition des droits télévisuels des retransmissions des matchs de Premier League.
Les droits de diffusion sont accordés tous les 3 ans par la Football association Premier League (FAPL), par une procédure de mise en concurrence, c’est un véritable droit exclusif de diffusion qui est réservé sur une base territoriale. Le soumissionnaire obtient un bouquet de droits de diffusion des rencontres en direct et obtient par la même occasion un droit exclusif de diffusion dans une zone ciblée territorialement. En l’occurrence ici, le titulaire des droits de licence était BSKYB Ldt. Par ailleurs, chaque radiodiffuseur s’engage par le contrat conclu à crypter son signal satellite et à le transmettre aux seuls abonnés du territoire qui lui a été attribué.
La CJUE, dans sa décision, a estimé que la réglementation nationale en question, « qui interdit l’importation, la vente et l’utilisation de dispositifs de décodage étrangers sur le territoire national empêche les personnes résidents en dehors de l’état membre d’accéder auxdits services ». Elle considère que les accords exclusifs sur la base territoriale de la FAPL sont contraires aux droits de l’union, en l’occurrence à l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Elle rejette les arguments de la FAPL, et notamment celui selon lequel “l’interdiction d’utiliser des systèmes étrangers ne sauraient être justifié au regard de l’objectif de protection des droits de propriété intellectuelle”. En effet, la FAPL ne peut prétendre à l’existence d’un droit d’auteur dans la mesure où selon la Cour, les rencontres sportives dont il s’agit ne peuvent être dites des créations intellectuelles qualifiables d’œuvres dans la mesure où des règles de jeu sont appliquées et donc une liberté créative ne peut être reconnue.
De même, “l’interdiction d’utiliser des systèmes étrangers ne peut être justifiée par l’objectif d’encourager la présence du public dans les stades de football”. Cette dernière position se trouve justifiée dans la pratique dans la mesure où la présence du public dans les stades de football en Angleterre n’est pas à remettre en question puisque c’est un des championnat les plus attractifs d’Europe, et où les recettes des clubs issues de l’affluence sont clairement importantes et ont une part principale dans les budgets. Le Championnat FA Premier League est le deuxième championnat national de football ayant eu la plus forte affluence en 2010, et la sixième compétition nationale tous sports confondus dans le monde, cette même année.
L’impact de cet arrêt est important, et pourrait avoir la même ampleur que celui rendu en matière de football par la même Cour en 1995 dit « Bosman » mettant fin aux restrictions à trois joueurs étrangers ressortissants de l’Union européenne dans un club. Une décision qui a eu une portée considérable non seulement pour le football mais pour toutes les disciplines sportives professionnelles ou semi-professionnelles, qu’elles concernent des athlètes masculins comme féminins, dans tous les pays membre de la Communauté européenne.
Vers un bouleversement des politiques futures ?
Cette décision bien que touchant les droits de diffusion de la Premier League, risque d’avoir des retombées pour toutes les compétitions européennes footballistiques. Rappelons que s’agissant du championnat de football national français, les droits de la Ligue 1 de 2012 à 2016 sont principalement obtenus par le Groupe Canal + pour un investissement de 420 millions d’euros par an, mais la chaîne cryptée a vu débarquer un concurrent de taille en la personne d’Al Jazira, la chaine qatarie qui a déboursé 90 millions d’euros pour obtenir un des cinq lots proposés.
S’agissant des réactions des principaux concernés, la FAPL, dans un communiqué de presse, a affirmé qu’elle « continuerait à vendre ses droits audiovisuels de façon à satisfaire le mieux possible les fans dans toute l’Europe et les diffuseurs, en conformité avec le droit européen”. S’agissant de l’Union des associations européennes de football « UEFA », elle estime que cet arrêt ne devrait pas changer radicalement pour autant la donne de sa politique de distribution des droits de diffusion « “dans la mesure où les contrats liés à ces droits ne sont pas strictement basés sur une exclusivité territoriale mais prévoient déjà la possibilité d’une extension limitée à d’autres territoires”. »
Avec cet arrêt, les droits de diffusion des compétitions nationales de football ne devraient plus être vendus pays par pays mais à l’échelle européenne, ce qui est un apport bénéfique dans la mesure où des différences de prix entre les pays n’auront désormais plus lieu. Toutefois, on peut s’interroger sur le fait de savoir si cet appel à la liberté de s’abonner ne va pas avoir des effets secondaires quant à la politique future des grandes chaines de télévision. En effet, désormais, rien n’exclut qu’un seule groupe de médias achètent les droits de diffusion pour l’Europe entière et par la suite, impose ses tarifs grâce au monopole obtenu. L’avenir nous le dira…
– Arrêt Karen MURPHY CJUE 4.10.2011 – Affaires jointes C-403/08 et C-429/08
– Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)
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