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« QUANTIC GATE » : EXCEPTION OU GÉNÉRALISATION D’UNE CULTURE D’ENTREPRISE TOXIQUE DANS LE MILIEU DU JEU VIDÉO ?

Posted by Steven Ehrhardt on 2 mars 2018 in Presse: Actualités | 390 Views

Quantic Dream, le plus grand studio indépendant de jeu vidéo de France, très connu à l’international pour son oeuvre culte « The Nomad Soul », est dans la tourmente depuis ce début d’année 2018. 3 longs articles de presse, relatant une culture d’entreprise toxique, ont été publiés en janvier. Canard PC et Mediapart ont débuté en commun une enquête générale dans le milieu du jeu vidéo. Quantic Dream était le premier studio visé par les journalistes. Le Monde de son côté a mené des investigations parallèles sur le sujet, et finalement, les 3 rédactions ont mis une partie de leurs recherches en commun pour publier en simultané des articles concordants le 14 janvier 2018. L’affaire a été reprise dans plusieurs médias internationaux comme Eurogamer et The Guardian, alors que le studio assure lui, de son côté, respecter chacun de ses collaborateurs.

Le Point de départ de l’enquête

L’histoire démarre en début d’année 2017 autour d’un des délégués du personnel et de son hobby assez particulier, le photomontage. D’habitude il partageait ses créations dans un cadre privé. Il envoyait les fichiers directement par mail à la personne concernée, ou dans un cercle restreint d’amis. Jusque là ses collègues jugeaient cette pratique « bon enfant », même si les clichés avaient des connotations pornographiques, racistes, antisémites, sexistes et homophobes. Pour fêter son 600ème montage, le délégué du personnel a décidé de tous les partager sur l’intranet de l’entreprise. Sa dernière réalisation représentait le responsable du parc informatique, connu des salariés pour sa rigueur. La personne visée par ce détournement s’est sentie blessée, d’autant qu’elle a découvert, par la suite, qu’elle était mise en scène dans d’autres montages. Vue la détérioration de l’ambiance de travail qui s’en est suivie, le responsable informatique a souhaité se faire licencier en touchant des indemnités de départ. Il n’a pas réussi à négocier comme convenu et a alors contesté son licenciement, jugeant qu’il était entaché d’irrégularité. Le démissionnaire a emmené avec lui d’autres employés. Les personnes engagées à leur place se sont alors trouvées bloquées, car certaines documentations auraient été mal rédigées, et elles ne disposaient pas de toutes les informations nécessaires à la bonne exécution de leur travail. Cela va déboucher sur une situation de litige et une plainte, visant David Cage et Guillaume de Fondaumière, les 2 principaux gérants de l’entreprise, sera déposée par les ex-employés au printemps 2017.

Parallèlement des journalistes du Monde, Canard PC et Mediapart ont commencé à mener leur enquête sur Quantic Dream et ils relatent des dizaines de témoignages indiquant une culture de la société hostile aux salariés et à leur bien être au travail. Les 2 dirigeants ont été « choqués » et « indignés » par de telles accusations et ont répondu en qualifiant ces déclarations d’élucubrations d’ « anciens salariés frustrés ». On apprend dans l’article que l’employeur en question a refusé toute négociation avec ses ex-salariés jugeant que ces pratiques sont communes à d’autres entreprises et que les montages en question visaient pour la plupart Gavid Cage et Guillaume de Fondaunière, les dirigeants de la Quantic Dream qui apparemment s’en amusaient. Aucun signalement n’aurait été fait et aucune plainte en interne ne serait remontée jusqu’à la hiérarchie. « Les conduites ou pratiques inappropriées n’ont pas leur place chez Quantic Dream. Nous avons pris et prendrons toujours celles-ci au sérieux. », s’est défendue l’entreprise dans un tweet le jour même de la publications des articles. En sus, l’entreprise se défend pour sa tenue exemplaire vis-à-vis de ses employés et le démontre par le fait que seulement très peu d’affaires la mettant en cause ont été portées devant les prud’hommes. La direction était obligée de réagir publiquement pour se couvrir en cas de potentielle qualification de harcèlement moral devant les juridictions. Car effectivement, cette qualification pourrait être retenue selon l’article L1152-1 du Code du travail et l’article 222-33-2 du Code Pénal dans le cas où une même personne est visée de façon régulière par des agissements pouvant altérer ses conditions de travail. Et l’employeur est alors censé prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir de tels agissement selon les dispositions de l’article L1152-4 du Code du travail. Toujours est-il, que dans des échanges de courriels interceptés par Le Monde, le 27 février 2017, Guillaume de Fondaumière aurait apparemment reconnu l’existence de ces fichiers photosphop qui circulaient depuis des années, considérant que c’était une erreur.

Dans cette affaire, le parquet de Paris a finalement retenu la qualification d’ « injures non publiques envers particulier ». L’intranet de l’entreprise aurait donc été considéré comme un réseau privé, accessible à une communauté d’intérêts et non comme un espace public. Mais face aux nombreux fichiers photos, le parquet de Paris a confié l’enquête préliminaire pour harcèlement et discrimination au commissariat du 20ème arrondissement.

Ambiance apparement délétère et harcèlement présumé des employés

L’article de Médiapart détaille l’ « atmosphère toxique » de l’entreprise en une quinzaine de pages. La première moitié de l’article étant consacrée au travail d’investigation, la seconde moitié regroupant des échanges de mails entre les délégués du personnel et le site de presse. Les personnes questionnées minimisent d’ailleurs les allégations en prenant largement la défense de l’entreprise et en affirmant que toutes les situations sont décrites de manière exagérée. Les principaux reproches sur l’ambiance de travail tournent autour des méthodes de management cassantes, de la « pression permanente », des charges de travail lourdes, du « manque de considération » des salariés et des « remarques sexistes », voire de « harcèlement ». Une des femmes de l’entreprise va d’ailleurs témoigner sur le fait qu’il règne une sorte d’ambiance de geeks stéréotypés dans cette entreprise composée à 83% d’hommes, avec la peur et la haine de la femme. Guillaume de Fondaumière, l’un des dirigeants, serait un adepte des « bises appuyées », de drague lourde en soirée et des « remarques déplacées ». Il s’est d’ailleurs défendu de telles accusations : « Je vais être extrêmement clair : c’est absolument faux. À aucune soirée rien de tout cela ne s’est jamais passé ».

Maxildan, animateur du site LeStream, a quelques contacts au sein de Quantic Dream, comme Aurélien Loizeau, qui ont justement relativisé les dérives exposées dans les articles du CanardPC et de Mediapart. Globalement ils considèrent qu’il y a une excellente ambiance, et que du fait justement de cette atmosphère détendue, les employés se permettent de beaucoup blaguer entre eux. Ils estiment d’ailleurs que si faire des blagues fréquemment avec ses collègues est constitutif d’une ambiance toxique, alors oui, il y a bien une ambiance toxique. Les frasques entre collègues de bureau n’iraient pas au-delà de la blague potache, bien loin des accusations de sexisme, d’homophobie et de racisme. Certains canulars ne semblent donc pas au goût de tout le monde.

Les dirigeants fermeraient les yeux sur ce genre de pratiques devenues monnaie courante dans l’entreprise, même si, selon les dires de David Cage, Quantic Dream n’est pas un « vestiaire de rugby ». Pour Pierre Tauvel, responsable de la motion capture, « l’ambiance est géniale, rien de toxique, les employés sont tous différents et se moquent de tout ».

Cependant, il est à noté que, d’autres femmes, même sous l’anonymat, n’ont pas souhaité se prononcer pour le moment vu qu’il y a une procédure en cours. Il demeure sans doute la peur d’une mauvaise interprétation de certains propos dans une entreprise essentiellement masculine où la mesure de la parole permet de préserver sa carrière.

Certains ont pris le contrepied en défendant l’entreprise corps et âme. Ainsi, des internautes, extérieurs à Quantic Dream, se sont mobilisés dans un mouvement de solidarité pour dénoncer des « calomnies » et le travail d’un « journaliste véreux » au sein de Mediapart. L’influenceur Siphano a pris la défense de Quantic Dream, le patron d’Ankama a parlé de « nouvelle inquisition » de la part des journalistes et le youtubeur Julien Chieze a tempéré les propos rapportés en prenant de grosses pincettes.

Quantic Dream a également été défendue en interne par des employés pointant le fait que la plupart des témoignages décrivant des conditions de travail insupportables viendraient principalement de personnes ayant un contentieux avec l’entreprise et qui souhaiteraient la mettre à mal. Les dénonciations seraient alors purement « calomnieuses » selon leurs dires. Rappelons que l’éditeur de jeu compte un effectif de 200 salariés, ce qui fait que de nombreuses personnes ne seront jamais directement touchées par des dysfonctionnements internes et n’en auront même jamais écho. Mediapart aurait recueilli 30 témoignages, mais parmi les personnes interviewées une bonne partie aurait été licenciée. D’où l’argument, effectivement, des défenseurs de l’entreprise qui ont estimé que les personnes derrière ces révélations étaient d’anciens employés « frustrés ».

À ce propos on constate un turn over assez impressionnant aux alentours de 2015-2016 pour une société de cette taille. Cela serait-il le fruit d’une ambiance particulièrement pesante dans le studio ? Selon les chiffres rapportés par Mediapart, 50 personnes auraient quitté Quantic Dream pour cause de dépression et d’épuisement général. Selon Aurélien Loizeau, le personnel ne change pas si souvent, étant donné une moyenne d’ancienneté de 7 ans, alors que le studio fête tout juste ses 20 ans. La réalité de terrain contre dirait-elle le travail journalistique sur cette question ? Le journaliste William Audureau assure que ses sources étaient suffisamment fiables pour la publication d’un tel article dans Le Monde. Il a notamment recueilli les témoignages de personnes en interne qui n’ont aucune raison de vouloir porter atteinte à l’entreprise par vengeance personnelle. D’ailleurs d’autres faits relatés, et parfois plus graves que ceux évoqués dans l’articles, n’ont pas pu être mentionnés par le journaliste, par peur d’être attaqué sur le terrain de la diffamation, vu qu’il manquait de preuves. Le travail journalistique est donc suffisamment sérieux pour que l’on puisse se poser un certain nombre de questions, notamment sur les périodes de productivité intensive où les salariés ressortent épuisés.

La démocratisation de la culture du « crunch »

Le crunch c’est une période pendant laquelle on demande aux employés de forcer sur leur temps de travail en vue de la réalisation d’un objectif commun à l’entreprise, comme la finalisation d’un jeu vidéo (deadline). En début de chaine ou en pré-production, il n’y a pas toutes ces contraintes de temps et de budget à boucler. D’ailleurs les équipes, vont à ce moment là, rarement faire des heures supplémentaires. Mais en fin de parcours, notamment dans l’animation, les entreprises sont souvent poussées par des impératifs de calendrier de sortie lors de périodes stratégiques de l’année. Lorsqu’un studio de développement n’a pas les moyens de renforcer son équipe, il demande à ses employés de travailler plus vite, plus longtemps, en dépassant parfois la durée légale quotidienne de travail. Cette pratique dénoncée chez Quantic Dream, serait largement répandue dans les entreprises du jeu vidéo. Les délais sont rarement respectés. D’ailleurs lorsqu’un jeu passe Gold, c’est à dire lorsque le master du jeu est prêt à être pressé, puis dupliqué pour être distribué chez les revendeurs, les employés continuent à optimiser les outils et il est de pratique courante de devoir télécharger des patchs conséquents le jour de la sortie d’un titre.

Concernant les heures supplémentaires, elles seraient bien entendues payées chez Quantic Dream, contrairement à ce qu’avancent certains salariés, mais l’article dénonce surtout la façon de les rémunérer. Il y a un compteur qui alimente les heures supplémentaires. Lorsqu’un employé travaille par exemple 40h par semaines, il sera payé 45 heures en temps normal, le salaire de base étant indexé sur un sur-régime d’heures. Les heures déjà payées en supplément alimentent un compteur qui peut aller jusqu’à 100 heures par salarié. Lorsqu’arrivent les périodes de crunch, les heures déjà payées en surplus sont puisées dans ce compteur. Cette pratique a été fixée par les délégués du personnel en concertation avec les employés. Cela peut poser des difficultés dans le cas où un salarié quitterait l’entreprise avant la période de erunch, puisqu’il serait dans l’obligation de restituer le trop perçu.

Selon les propos d’une ancienne salariée de Quantic Dream en période de crunch certains ont travaillé « parfois 15 heures ou 20 heures par jour, pour atteindre un objectif intenable ». En heures hebdomadaires, ils dépassaient parfois les 60h. La loi est très claire sur ce point, puisque, selon le Code du travail, la durée journalière de travail ne peut excéder les 10h (article L3121-18), mais certains aménagements peuvent être prévus dans des cas particuliers et permettent d’étendre cette durée à 12h. Concernant la durée hebdomadaire, la loi prévoit une durée maximale de 48h selon l’article L3121-20 du Code du travail, mais dans certains cas elle peut être portée à 60h (Article L3121-21).

Le patron de Quantic Dream comparé à un despote

David Cage, surnommé le « Godard du Pixel » par l’Express, est un auteur, concepteur et patron de Quantic Dream. C’est un homme très impliqué dans son travail, avec une vraie vision cinématographique du jeu vidéo. Son talent et son apport à la culture française sont largement reconnus, Fleur Pellerin lui a d’ailleurs adressé la légion d’honneur en 2014. Du fait de ses nombreuses récompenses et distinctions, Canard PC estime que, Quantic Dream est un modèle de l’industrie française du jeu vidéo et devrait en tout état de cause assurer une tenue « exemplaire ».

David Cage est plus un passionné qu’un vrai gestionnaire, car il va accepter de perdre de l’argent dans un projet, s’il peut en contrepartie fournir un produit fini. En tant que créatif, vu qu’il est le principal auteur de ses jeux, il souhaite avant tout garder un total pouvoir de contrôle. Il est tellement impliqué qu’il va jusqu’à connaitre par coeur le moindre détail. Mais selon un témoin il réduirait son personnel à des outils mécaniques en délaissant tout le côté humain. Leur contribution ne serait pas considérée comme un véritable apport. Certains employés seraient déprimés par la personnalité quasi « tyrannique » de David Cage qui n’écouterait rien. En novembre 2004, David Cage crée un post sur les forums de jeuxvidéo.com sous le pseudonyme de « Lucas_Kane ». Alors que les échanges se passent très bien avec sa communauté de fans, un internaute, du nom de « FredericPlanet » va venir tempérer ce torrent d’admiration et d’éloges autour de la personne de David Cage. Il va dénoncer notamment un système du «  je te prends, je t´essore, je te jète ». Il ira jusqu’à dire que David Cage a beaucoup d’influence dans le jeu vidéo à tel point qu’il aurait le pouvoir de ternir la réputation de ses anciens collaborateurs.

Concernant des accusations de racisme, 2 personnes auraient rapporté aux journalistes qu’après avoir visionné des images de vidéo surveillance d’un cambriolage au sein du studio, David Cage aurait demandé à l’un de ses employés tunisiens si ses cousins n’étaient pas à l’origine du vol. Doit-on qualifier cet écart de racisme ou de bévue ? Beaucoup disent qu’il est adepte des blagues « grivoises insistantes, manquant de considération pour les collaboratrices, ». Selon une ancienne employée, David Cage irait alors jusqu’à se considérer comme un roi dans son château et aurait le droit « d’y dire ce qu’il veut » se sentant avant tout chez lui. On lui attribuerait d’ailleurs le surnom de « Roi-Soleil » ou même de « Dieu ».

À propos des accusations de sexisme et d’homophobie, David Cage se défend à juste titre en disant qu’il avait travaillé sur son précédent jeu avec l’actrice Ellen Page qui milite pour les droits LGBT, ainsi qu’avec Jesse Williams qui se bat pour les droits civiques aux Etats Unis. Suite à ces propos, Kirk McKeand,  journaliste de The telegraph, avait rappelé à la mémoire des internautes qu’Ellen Page avait justement intenté une action en 2015 à l’encontre de Sony et de Quantic Dream pour sa modélisation entièrement nue dans le jeu Beyond Two Souls.

Soupçons de licenciements transactionnels organisés et de petits arrangements

En France il est assez lourd économiquement de se séparer d’un salarié. Selon Mediapart, l’entreprise aurait comme pratique de remercier ses employés en leur demandant de contester leur licenciement. S’ensuit alors un petit arrangement financier pour que l’employé parte sans faire d’histoire. Les papiers de contestation seraient déjà préparés à l’avance et antidatés par les ressources humaines. Il n’y aurait alors pas de rupture conventionnelle, mais transactionnelle. L’accord financier entre l’entreprise et le salarié se ferait en dessous de main pour que le salarié puisse toucher le chômage. Ce système n’a été cependant dénoncé qu’aujourd’hui alors que les révélations autour de Quantic Dream ont pris de l’ampleur. Selon les délégués du personnel, le but a toujours été que les licenciements se passent pour le mieux et lorsqu’un licenciement n’était pas dans l’intérêt de l’employé, ils lui demandaient de contester. Avec cette pratique, les entreprises échappent en fait aux prélèvements sur les indemnités de licenciement, le montant de la transaction conclue avec le salarié après contestation du licenciement n’étant pas soumis au prélèvements sociaux.

Les rédactions révèlent également que Guillaume de Fondaumière avait 2 postes dans l’entreprise et qu’il s’est fait licencié le 30 septembre 2016 de l’un deux sous couvert d’une mésentente. Il a été ensuite directement réembauché derrière avec un salaire brut augmenté de 2000 € et une prime d’environ 100 000 € qu’il a directement injectée dans la société pour augmenter ses parts à hauteur de 8 %. Certains de ses ex-collaborateurs ont estimé alors que ce licenciement est inexistant. Apparemment l’intéressé se défendait de la modification de statut pour une raison de sécurité au cas où il serait un jour congédié de son entreprise, pour bénéficier de l’assurance chômage.

Il a d’ailleurs réagi le 16 janvier 2018 en affirmant que les informations rapportées par le journaliste Dan Israel dans les colonnes de Mediapart étaient tronquées. Il a ensuite publié un post sur son compte twitter pour affirmer qu’il ne s’était pas « auto-licencié », mais qu’il avait suivi une procédure parfaitement légale et que dire le contraire « C’est asséner des contre-vérités et jeter l’opprobre sur quelqu’un sur la base de rien ». Il a également ajouté : « Je suis furieux et outré. Je prends ces accusations très au sérieux. Et j’userai de tous les recours légaux pour défendre mon honneur. »

Cette procédure qui peut paraitre contestable aux yeux du public est parfaitement légale comme l’a souligné Guillaume de Fondaumière, Il ne lui a été retiré que sa fonction de producteur exécutif, c’est pour cela qu’il a pu garder un haut salaire en qualité de directeur général.

Quantic Dream : l’arbre et puis la forêt

Quantic Dream n’est sûrement pas un cas isolé. D’autres entreprises dans le milieu du jeu vidéo ont aussi été éclaboussées par des affaires médiatiques similaires.

En début d’année, par exemple, l’ancien patron d’Atari, Nolan Bushnell, s’est vu refuser un prix qui lui avait été pourtant décerné par la Game Developers Conference de 2018. Certains internautes ont fait remonter des informations sur Twitter qui dataient des années 1970, alors qu’Atari était un des leaders dans le monde du jeu vidéo. Même s’il s’agissait sans doute d’une autre époque, de nombreuses personnes savent désormais que Bushnell avait des pratiques que l’on qualifierait aujourd’hui de « sexistes ». On y apprend par exemple que le PDG organisait des réunions avec son conseil d’administrations dans des cuves thermales où ils conviait parfois des secrétaires. Il pratiquait également des concours pour désigner les plus belles assistantes. Un ancien collaborateur, Loni Reeder, assimile ces révélations à un « assassinat » médiatique, étant donné que ces différents exemples constituaient des cas isolés sur un longue période de temps et non la norme.

Le studio Naugthy Dog a également été pointé du doigt ces derniers mois après des accusations graves d’un ex-employé, David Ballard.

Les studios japonais ne sont pas non plus étrangers à certaines dérives. Un article paru sur le site Nikkei, en 2015, décrivait des conditions de travail déplorables chez Konami avec un niveau de contrôle extrême des faits et gestes des employés. L’ancien chef de projet, Kojima, à qui l’on doit l’iconique série des Metal Gear, avait été placé dans une sorte de « cellule d’isolement » où il ne pouvait plus communiquer avec ses équipes, ni avoir accès à internet.

CD Projekt Red a aussi dû faire face récemment à des rumeurs sur des conditions de travail jugées exécrables par d’anciens salariés.

Ces différentes frasques ne semblent finalement pas constituer de simples cas isolés, d’ailleurs certaines pratiques déjà décrites plus haut semblent très répandues dans le domaine du jeu vidéo.

Ainsi, une salariée d’un studio parisien confiait à Mediapart : « Chez nous, il y a des crunches monstrueux, week-ends, soirées, nuits… Cela peut durer entre deux semaines et trois mois. Ces heures supplémentaires ne sont pas payées, quoi qu’il arrive ». Dans certaines entreprises le crunch semble poussé jusqu’à son paroxysme, ainsi, les développeurs du studio Team Bondi s’étaient vus imposer des « crunch time » de 110 heures par semaine pour la finalisation du jeu L.A. Noire. Ceux qui n’avaient pas pu tenir cette cadence infernale ont été retirés des crédits du jeu. Cette pratique ne concerne pas que les petites mains, mais également les chefs de projet. Ainsi, Yoshinori Ono, l’homme derrière le projet Street Fighter IV, s’est évanoui dans sa salle de bain après un surmenage. Le crunch serait donc effectivement monnaie courante dans le monde du jeu vidéo et on trouve de nombreuses enquêtes en la matière (Canard PC , Gamekult).

Bien que Quantic Dream semble payer une bonne partie des heures supplémentaires, certains studios à succès comme Crytek ont parfois arrêté de payé leurs employés pendant plusieurs mois avant de les licencier. Concernant les revenus moyens, ils seraient inférieurs de 30% chez les concepteurs de jeu vidéo, comparé à des emplois similaires de programmation dans d’autres secteurs informatiques. Selon un représentant du personnel, cela ne toucherait pas forcément que les petits studios, puisque même Ubisoft, le plus gros studio de jeux vidéo français du monde, proposerait des salaires plus bas qu’attendus. Les femmes seraient réellement sous-représentées, puisque selon le SNJV, 86% des salariés seraient des hommes. Des associations professionnelles comme Women in Games tentent d’y remédier au fil de l’évolution de la société et des moeurs.

Concernant l’inégalité des salaires entre les hommes et les femmes, elle serait particulièrement marquée, car selon un responsable des ressources humaines,  les «  hommes sont payés 300 ou 400 euros de plus. ».

Suite au retentissement de l’affaire Quantic Dream et à la mise en lumière des conditions de travail défavorables dans le milieu du jeu vidéo,  une élue de Paris, Danielle Simonnet, a exprimé son inquiétude en public. Elle a parlé essentiellement du soutien financier de la ville de Paris aux secteurs innovants. Elle souhaite que la commune informe l’ensemble des conseillers des montants perçus par l’entreprise Quantic Dream et appelle à une réflexion pour rendre contraignantes les aides accordées à ce genre d’entreprise. Alors que Denis Masséglia, député en charge de la formation d’un groupe de travail consacré aux jeux vidéo, s’est refusé à faire du cas Quantic Dream une généralité. Ce groupe en formation à l’assemblée n’a pour le moment pas vocation d’évoquer les difficultés inhérentes aux conditions de travail dans le jeu vidéo. 

Pour en revenir à Quantic Dream, il semblerait finalement qu’une partie de l’affaire ait trouvé une issue devant les tribunaux. En effet, le 19 janvier 2018, selon un communiqué de Quantic Dream en date du 6 février, les salariés ayant saisi les prud’hommes en 2017 auraient été déboutés en appel de toutes leurs demandes. Quantic Dream en a profité pour remettre en cause alors cette campagne de dénigrement médiatique « basée sur des propos calomnieux dont la fiabilité et l’origine des sources posent question ». Il est d’ailleurs difficile de savoir s’il y a une raison particulière ou non pour que cette entreprise ait été à ce point prise en grippe et pour qu’il y ait un écho médiatique aussi fort, précisément au sujet de ce fleuron français. Ce ciblage dont a été « victime » Quantic Dream pourrait lui être préjudiciable pour son image et sa réputation, d’autant que la fenêtre de lancement de son prochain jeu Détroit : Become Human est relativement proche.

SOURCES :

AUDUREAU (W.), « Quantic Dream, un fleuron du jeu vidéo français aux méthodes de management contestées », lemonde.fr, publié le 14 janvier 2018, consulté le 20 février 2018,

< http://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/01/14/quantic-dream-un-fleuron-du-jeu-video-francais-aux-methodes-de-management-contestees_5241506_4408996.html >

KALASH (M.), « Drôle d’ambiance à Quantic Dream Rififi au cœur d’un grand studio parisien », canardpc.com, publié le 14 janvier 2018, consulté le 20 février 2018,

< https://www.canardpc.com/373/drole-dambiance-quantic-dream >

DAN (I.), « Les errements de Quantic Dream, pépite française du jeu vidéo », mediapart.fr, publié le 14 janvier 2018, consulté le 20 février 2018,

< https://www.mediapart.fr/journal/economie/140118/les-errements-de-quantic-dream-pepite-francaise-du-jeu-video?onglet=full >

Posted in Presse: Actualités | Tagged CanardPC, conditions de travail, Crunch, culture d'entreprise, droit du travail, harcèlement, Jeux vidéo, Lemonde, Mediapart, Quantic Dream, travail hebdomadaire, travail journalier

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