MOBILITÉ : LES TROTTINETTES ÉLECTRIQUES EN LIBRE-SERVICE, DE LA RÉVOLUTION A L’ILLUSION

Au fil des décennies, les habitudes de transports s’inventent et se réinventent pour chaque fois satisfaire un nouveau public, couvrir un espace plus dense ou répondre à de nouvelles exigences écologiques. Depuis 2010, les VTC n’ont eu de cesse de se développer et nombreux sont ceux qui sont rentrés dans la course : Uber en pionnier, mais aussi Heetch ou encore « Chauffeur Privé » alias Kapten. Leur évolution sans précédent les a parfois conduits à investir dans de nouveaux secteurs, notamment la livraison de repas à domicile.

Les citoyens développent ainsi de nouvelles méthodes de déplacement, et sont sujets à de nouveaux besoins : si les vélos sont présents dans les villes en « free-floating » (libre-service sans station) ou en bornes depuis une dizaine d’années, la trottinette fait sa grande entrée et envahit tous les espaces. A l’origine assez démodée et enfantine, la trottinette s’est imposée comme nouveau mode de transport agile, léger et pratique adopté des adolescents aux cadres. Néanmoins, celle-ci questionne sur sa condition réelle : lorsqu’elle est électrique, doit-on l’affilier au régime de responsabilité des véhicules terrestres ? Doit-on l’assimiler à un piéton ? Ou existe-t-il un régime particulier à ce mode de déplacement ?  

La trottinette électrique se mobilise surtout sur la route : en plus des voitures, deux-roues et bicycles, un nouvel acteur se fait une place sur le macadam. Si son succès était prédit par de nombreux constructeurs automobiles qui ont tous investis dans une marque du secteur, il se pourrait que le droit crée un obstacle à son ascension.

Un mode de transport aussi singulier que controversé

Leur sécurité est à revoir : si l’on se concentre davantage sur des problèmes de responsabilité et de sécurité du passager dans le secteur des véhicules autonomes, il semble que la trottinette donne beaucoup de fil à retordre. Chutes, collisions, défauts de fabrication, piratages… Face à de tels risques, l’usager du service pense logiquement qu’il existe une assurance responsabilité civile intégrée au contrat de location : aussi évident que cela pourrait être, il n’y en a finalement pas.

Dans le cas de l’achat d’une trottinette électrique, dont on acquiert l’entière propriété, une assurance spécifique est fortement recommandée : une assurance multirisque couvrant les dommages causés par des véhicules électriques aux biens, aux piétons, et autres usagers de la route. Néanmoins, dans le cadre de la location de trottinettes en « free-floating », c’est au futur conducteur de la trottinette de s’assurer qu’il dispose d’une assurance en responsabilité civile adéquate à la conduite de l’engin. L’information est loin d’être transmise : l’usager pressé accepte sans lire les conditions générales de vente, parfois écrites en anglais et sans option de traduction.

Des mesures de sécurité deviennent donc nécessaires et indispensables pour rassurer le client utilisateur, qui sans savoir circule sans assurance et s’expose à une série de risques. Cependant, certains cas relatent les limites des modèles de sociétés de location de trottinettes en free-floating. En effet, des hackers sont parvenus à pirater en Australie le système audio des appareils par Bluetooth en leur faisant prononcer des phrases obscènes. Ainsi, au lieu d’entendre un bip de prise de commande et de parking, l’utilisateur australien entendait par exemple « Ne m’emmène pas faire un tour, je n’aime pas être chevauchée ». Si l’anecdote peut paraître davantage de mauvais goût que grave, d’autres faits ont pu inquiéter des adeptes des trottinettes. Plus tôt dans l’année, des hackers étaient parvenus à bloquer les roues en pleine course à distance : beaucoup moins drôle.

Par ailleurs, l’usager français se soumet à la loi étasunienne dans la plupart des contrats, dont les créateurs ont leur siège social en Californie. Le tribunal compétent est donc californien :

 « 2.9. Federal and State Courts in San Mateo County, California : Except where arbitration is required above or with respect to the enforcement of any arbitration decision or award, any action or proceeding relating to any Dispute or Excluded Dispute arising out of or related to this Agreement, any Product, and/or any of the Services, may only be instituted in state or Federal court in San Mateo County, California. Accordingly, You and Lime consent to the exclusive personal jurisdiction and venue of such courts for such matters. »

L’accès au droit et la contestation du régime se complexifient à cause de lourdes procédures. Ce type de problème est finalement récurrent : lors de l’implantation d’une innovation ou d’une nouvelle habitude dans une société, le législateur aborde les problèmes juridiques et de sécurité a posteriori de l’installation. Ainsi, les sociétés de trottinettes en libre-service ont bénéficié, comme beaucoup d’autres entreprises étrangères, de l’absence d’un cadre réglementaire ou législatif strict pour imposer diverses mesures unilatérales aux usagers.

 

La nécessaire actualisation du cadre législatif pour mieux appréhender ces nouveaux problèmes

L’absence d’assurance pour l’utilisateur ignorant l’expose très gravement : en cas de conflit avec un piéton, le fonds d’indemnisation des victimes assurerait l’avance des frais mais poursuivrait le conducteur de trottinette en vue d’être remboursé. Ainsi, le régime imposé par les sociétés de trottinettes met les usagers dans une position désavantageuse, dès lors que la plupart d’entre eux conduit des engins sans avoir pu anticiper les risques.

La priorité a donc été de rapidement légiférer sur le sujet, afin de pallier une éventuelle abondance de litiges. Le nouveau projet de loi relatif à l’orientation des mobilités, présenté par la ministre de la transition écologique et solidaire et des transports, a été adopté début avril par le Sénat. Il a pour objectif de simplifier la mobilité sur certains modes, mais également de renforcer voire installer un cadre plus sérieux pour certains transports.

L’article 18 du même projet attribue la possibilité aux autorités organisatrices de réguler les nouveaux services de mobilité : accompagner le développement de nouveaux services, notamment les trottinettes, en appréhendant leur impact sur les autres modes de transport, la fluidité des déplacements et la gestion des espaces publics. Ces autorités organisatrices auront ainsi la capacité d’imposer sous peine de sanction des prescriptions minimales aux sociétés de location de trottinettes, notamment sur les conditions générales d’utilisation et de vente et le régime d’assurance assigné aux appareils.

L’article 18 du projet en cours dispose ainsi :

 « Art. L. 1231-17. – I. – L’autorité organisatrice de la mobilité mentionnée à l’article L. 1231-1 et, s’agissant de la région Ile-de-France, l’autorité organisatrice compétente prévue par l’article L. 1241-1, peuvent, après avis des communes concernées et des autorités compétentes en matière de police de circulation et de stationnement, prévoir de soumettre les services de partage de véhicules et d’engins, permettant le transport de passagers ou de marchandises, mis à disposition des utilisateurs sur la voie publique et accessibles en libre-service, sans station d’attache, et susceptibles à ce titre d’engendrer une gêne significative pour la circulation et pour les piétons, la sécurité ou la tranquillité publique ou des impacts significatifs en matière de congestion, à des prescriptions particulières, sur tout ou partie de son ressort territorial.

« II. – Les prescriptions particulières définies par l’autorité organisatrice et applicables à l’exercice, par un opérateur, d’un service mentionné au I peuvent exclusivement porter sur :

« 1° Les informations relatives à la flotte d’engins ou de véhicules mis à disposition des utilisateurs, que l’opérateur doit transmettre à l’autorité organisatrice, relatives au nombre et aux caractéristiques de ces engins ou véhicules et au déploiement de cette flotte ;

« 2° Les mesures que doit prendre l’opérateur afin d’assurer le respect, par lui-même ou ses préposés et par les utilisateurs des engins et véhicules, des règles de circulation et de stationnement édictées par les autorités compétentes ;

« 3° Les mesures que doit prendre l’opérateur pour assurer le retrait, le cas échéant, des engins et véhicules hors d’usage.

« III. – En cas de non-respect de ces prescriptions, l’autorité organisatrice peut, après avoir mis l’opérateur à même de présenter ses observations, lui infliger une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement et à la situation de l’intéressé et ne peut excéder 300 000 euros. […] »

En attendant l’adoption de la loi, les utilisateurs passionnés de trottinettes devront redoubler de vigilance afin de ne pas se risquer à assumer des frais d’indemnisation exorbitants, faute d’assurance. Il reste à espérer que les pouvoirs publics et les collectivités aborderont le sujet au plus vite, afin de ne pas maintenir un risque d’insécurité routière causé par des clauses très exclusives de responsabilité, devenant presque abusives pour le consommateur.

 

 

SOURCES :

OFFEN (S.), « Oui, il est possible que votre trottinette Lime vous insulte », ladn.eu, publié le 25 avril 2019, consulté le 25 avril 2019 ; https://www.ladn.eu/news-business/actualites-startups/trotinette-lime-piratage-insulte-hackers-startup/

GETIN (P.), « Trottinette électrique, pensez à l’assurer ! », autoplus.fr, publié le 22 mars 2019, consulté le 25 avril 2019 ; https://www.autoplus.fr/actualite/Trottinette-electrique-Assurance-Accident-Indemnites-Fonds-de-garantie-1536977.html

BENEZRA (M.), « L’utilisation des trottinettes électriques en libre-service : les risques, les dangers ? », Village de la Justice, publié le 20 mars 2019, consulté le 25 avril 2019 ; https://www.village-justice.com/articles/utilisation-des-trottinettes-electriques-libre-service-les-risques-les-dangers,30990.html

BEGUE (O.), LEGRAND (S.), « Les vélos en libre-service ou free floating, quel cadre juridique pour un développement maîtrisé ? », publié le 6 décembre 2017, consulté le 25 avril 2019 ; https://association-idpa.com/blog-articles/2017/12/6/les-vlos-en-libre-service-ou-free-floating-quel-cadre-juridique-pour-un-dveloppement-matris-