Autorité de la concurrence – Décision n° 20-MC-01 du 9 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale e.a. et l’Agence France-Presse

MOTS CLEFS : autorité de la concurrence – droits voisins des éditeurs de presse – abus de position dominante – Google – directive sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique 

Par cette décision rendue le 9 avril 2020, l’Autorité de la concurrence impose au moteur de recherche Google de négocier avec les éditeurs et agences de presse, la rémunération due au titre de la loi du 24 juillet 2019 relative aux droits voisins pour la reprise de leurs contenus protégés.

 

FAITS : Dans le but de permettre un meilleur partage de valeur entre les éditeurs de presse d’une part et les agrégateurs de presse d’autre part, l’article 15 de la directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique a créé un droit voisin des éditeurs de presse. Est notamment prévu un mécanisme de rémunération en faveur des éditeurs et agences de presse pour la reprise de leurs contenus protégés. Pour contourner la loi de transposition du 24 juillet 2019, Google a imposé l’entrée en vigueur à compter du 24 octobre 2019, de nouvelles fonctionnalités. Ainsi, les éditeurs et agences de presse qui refuseraient l’indexation gratuite de leurs contenus seraient déréférencés par le moteur de recherche.

 

PROCÉDURE : Plusieurs syndicats représentant les éditeurs de presse ainsi que l’Agence France-Presse saisissent respectivement les 15 et 19 novembre 2019 l’Autorité de la concurrence pour contester les pratiques mises en œuvre par Google. Parallèlement à leur saisine du fond, la prononciation de mesures conservatoires est sollicitée. L’objectif est d’obliger le moteur de recherche à entrer dans une négociation de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse en vue d’une rémunération équitable pour la reprise de leurs contenus.

 

PROBLÈME DE DROIT : Le contournement d’une loi par un moteur de recherche consistant à imposer une licence gratuite pour la reprise de contenus de presse protégés peut-il être qualifié d’abus de position dominante ?

 

SOLUTION : En imposant des conditions de transaction inéquitables, l’Autorité de la concurrence réaffirme la position dominante de Google. L’Autorité use de son pouvoir d’interprétation d’une loi. Une entreprise en position dominante peut commettre un abus en cas de contournement de la loi. Enfin, l’Autorité de la concurrence enjoint Google de conduire des négociations de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse pour la rémunération due au titre de la loi du 24 juillet 2019.

 

SOURCES :

« Communiqué de presse, Droits voisins : l’Autorité fait droit aux demandes de mesures conservatoires présentées par les éditeurs de presse et l’AFP », 9 avril 2020.

MASMI DAZILE (F.), « Droit voisin : l’Autorité de la concurrence impose une négociation », Dalloz IP/IT et Communication, 11 mai 2020.

BOSCO (D.), « Droit de la concurrence », Aix-en-Provence, 2019-2020.

 

 

 

NOTE :

Visé respectivement par l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et par l’article L420-2 du Code de commerce, l’abus de position dominante se définit comme étant la situation dans laquelle une entreprise qui domine son marché, en tire un avantage illicite.

S’agissant de la qualification d’abus, il n’existe pas de définition légale. L’article 102 du TFUE et l’article L420-2 du Code de commerce ne donnent que des exemples. Face à ce vide juridique, la jurisprudence s’est employée à définir ce qu’est un abus. La notion d’abus comporte des enjeux cruciaux puisqu’elle permet aujourd’hui de se saisir de la question de la régulation des géants du numérique : les fameux GAFAM.

En effet, avec l’avènement du numérique, les éditeurs et agences de presse se sont rapidement retrouvés dans un rapport de force économique déséquilibré vis-à-vis notamment des agrégateurs de presse dont la pratique consiste à capter gratuitement leurs contenus protégés.

C’est dans ce contexte qu’intervient la décision rendue par l’Autorité de la concurrence, le 9 avril 2020.

 

La caractérisation de l’abus de position dominante par le contournement de la loi

 

Dans la mesure où il n’existe pas de définition légale de ce qui caractérise un abus, l’Autorité de la concurrence s’appuie, comme le rappelle Maitre MASMI DAZILE, sur la solution rendue dans l’affaire AstraZeneca[1] pour faire usage de son pouvoir d’interprétation d’une loi.  Dès lors qu’elle détourne la finalité d’une loi, sans formellement la violer,  une entreprise en position dominante peut commettre un abus. En l’espèce, profitant de sa position dominante sur le marché des services de recherche généraliste, Google impose unilatéralement des conditions aux éditeurs et agences de presse, qui peut se résumer ainsi : « sans l’indexation gratuite des contenus de presse, il y aura déréférencement. » Il est intéressant de noter que derrière cette argumentation qui peut paraître, de prime abord, anodine se pose la question sous-jacente de la « Data monetization » ou monétisation des données. L’objectif ici est de contourner la loi de transposition du 24 juillet 2019, qui prévoit un mécanisme de rémunération en faveur des éditeurs de presse pour la reprise de leurs contenus protégés. Une fois l’abus de position dominante caractérisé, l’Autorité de la concurrence s’attache à faire un rappel à la loi vis-à-vis de Google.

 

L’obligation de mise en conformité aux droits voisins des éditeurs de presse

 

L’Autorité impose au moteur de recherche d’entamer une négociation de bonne foi avec les éditeurs et agences de presse au titre de la rémunération des droits voisins des éditeurs de presse, prévue par la loi de transposition du 24 juillet 2019. La négociation devra couvrir de façon rétroactive les droits qui sont dus aux éditeurs de presse depuis l’entrée en vigueur de la loi. Postérieurement à cette décision, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 8 octobre 2020[2], est venue confirmer la position de l’Autorité de la concurrence.  En novembre 2020, des accords confidentiels ont été conclus entre Google et les éditeurs de presse pour une durée de 3 ans. Cet accord prévoit notamment la reproduction intégrale des contenus de presse par un service spécifique de Google.

 

Saba NAJAFI

Master 2 Droit de la création artistique et numérique

AIX-MARSEILLE UNIVERSITE, IREDIC 2020

 

 

[1] CJUE, 6 déc. 2012, aff. C-457/10.

[2] PERONI (M.), CA Paris., 8 octobre 2020, IREDIC.